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Bourguignon, Lydia | Bourguignon, Claude
L’agriculture est devenue une activité mortifère suite à l’introduction, après la Seconde guerre mondiale, des produits de l’industrie militaire : nitrate, pesticides, barbelés et matériel lourd. Ces produits et ces engins violent les lois du sol et entraînent sa destruction d’abord biologique puis chimique et enfin physique, c’est-à-dire son érosion. Pour sortir de cette dimension mortifère, il faut réintroduire de la science en agronomie afin de développer une agriculture respectueuse des lois de la vie du sol et capable de produire une alimentation à haute valeur nutritive.
Sources : l’équipe de scientifiques réunie autour de Johan Rockström
« Comment l’agriculture industrielle bouleverse le cycle de l’azote et compromet l’habitabilité de la terre
Alerte rouge ! Six des neuf Limites planétaires sont désormais dépassées. Et l’agriculture industrielle porte une lourde responsabilité. C’est ce que rapporte l’équipe de scientifiques réunie autour de Johan Rockström, dans un article paru en septembre dernier.
Publié le 8/12/2023 – Mis à jour le 12/12/2023
Lecture 9 min.
Pour rappel, les limites planétaires sont des valeurs d’indicateurs de perturbation au-delà desquelles la dynamique du système Terre s’engage dans une dérive incontrôlable et irréversible qui compromet l’habitabilité même de notre planète. Ce concept de dépassement est clair pour la plus connue de ces limites, celle qui concerne le réchauffement du climat. Pour maintenir l’accroissement de la température moyenne du globe en dessous de 1,5 °C, et éviter ainsi, sinon le changement climatique déjà en cours, du moins son emballement au-delà de ce qui est supportable, il faut maintenir la teneur en CO2 atmosphérique en dessous d’un certain seuil, ce qui nécessite d’atteindre rapidement une neutralité des émissions de CO2.

La pertinence d’une telle limite globale en ce qui concerne le climat est facile à admettre parce que le cycle du carbone est ouvert sur l’ensemble de la planète et le CO2 émis (ou capté) en n’importe quel endroit du globe affecte immédiatement l’ensemble de l’atmosphère. Il en va différemment pour la limite planétaire relative à l’azote, dont le dépassement résulte en grande partie et de façon plus complexe de l’industrialisation de la production agricole.
Mais comment l’agriculture peut-elle affecter le cycle de l’azote ? Comment celui-ci a-t-il pu atteindre un point de dépassement ? L’industrialisation de l’agriculture est-elle indispensable pour nourrir l’humanité ? Faisons le point.
Le cycle naturel de l’azote
Pour commencer, il faut bien se représenter le cycle naturel du carbone et de l’azote, deux des principaux éléments constitutifs de la matière vivante, dans la forêt par exemple. Le fonctionnement de la forêt repose sur l’équilibre entre d’une part la production végétale, qui transforme les formes minérales (inorganiques) du carbone et de l’azote en biomasse (organique), et d’autre part la décomposition de cette biomasse par les animaux, les champignons ou les microorganismes qui la reminéralisent.
Mais alors que la forme inorganique du carbone (le CO2) est présente dans l’atmosphère, uniformément distribuée à l’échelle du globe et prélevée par les plantes au niveau de leurs feuilles, l’azote, lui, est reminéralisé dans le sol et prélevé par les racines des plantes. La fermeture du cycle de l’azote doit ainsi être locale : toute perte entraîne un risque d’appauvrissement du sol qui compromet la poursuite de la croissance végétale.

Or, l’azote minéral présent dans les sols, est très mobile. Il existe sous plusieurs formes, l’ammoniac (NH3, NH4+) très volatile, le protoxyde d’azote (N2O) gazeux, le nitrate (NO3-) très soluble. Les pertes d’azote vers l’atmosphère et vers les eaux souterraines sont donc importantes, et c’est bien ce qui fait de l’azote l’élément limitant principal de la production des végétaux.
Pourtant, l’azote est présent largement dans l’atmosphère : il en constitue même 78 %, mais il s’y trouve sous sa forme moléculaire N2, un gaz inerte que la plupart des organismes sont incapables d’utiliser. Seule une classe de végétaux, les légumineuses (pois, lentilles, haricots ; trèfle, luzerne ; mais aussi certains arbres comme l’acacia), sont capables de puiser dans ce stock d’azote gazeux grâce à une association symbiotique avec des bactéries disposant des enzymes nécessaires pour transformer l’azote moléculaire en protéines. C’est cette fixation symbiotique qui compense les pertes environnementales naturelles d’azote et permet la pérennité du fonctionnement des écosystèmes terrestres.
Agriculture et fertilisation
Dans le cas des systèmes agricoles, le cycle de l’azote est structurellement ouvert. À chaque récolte de végétaux, l’azote qui y est contenu est emporté loin du sol dont il provient. Pour éviter l’appauvrissement du sol, il est donc nécessaire de lui restituer par un moyen ou par un autre l’azote qui lui a été soustrait tant par la récolte elle-même que par les pertes environnementales : c’est l’objet de la fertilisation.

Il existe de nombreux modes de fertilisation. L’épandage des excréments des animaux et des hommes qui ont consommé les plantes constitue la manière la plus naturelle d’assurer le bouclage du cycle de l’azote, mais il peut être malaisé si le lieu de consommation des aliments est éloigné de celui de leur production. Par contre, l’épandage sur les terres arables des déjections du bétail nourri sur des pâturages semi-naturels voisins peut constituer le moyen d’un transfert de fertilité de ces pâturages vers les terres arables.
C’était la base de la fertilisation des systèmes de polyculture-élevage traditionnels. Le recours à des rotations culturales dans lesquelles alternent les céréales et les légumineuses constitue également un moyen de fournir aux céréales l’azote fixé par les légumineuses qui les précèdent sur la même parcelle. En climat tropical, la coexistence d’arbres fixateurs d’azote et de cultures herbacées permet aussi un apport d’azote par fixation symbiotique. On le voit, les moyens traditionnels d’assurer la fertilisation des sols agricoles ne manquent pas.
Depuis à peine plus d’un siècle, les engrais industriels sont venus s’ajouter à cette panoplie. À la veille de la Première Guerre mondiale, les chimistes allemands Fritz Haber et Karl Bosch mettent au point le procédé qui permet, sous haute pression et à haute température, de forcer la réaction de l’azote de l’air avec l’hydrogène (alors issu du charbon, et aujourd’hui du gaz naturel) pour produire de l’ammoniac (NH3) puis de l’acide nitrique.
Si ce procédé sert tout d’abord à produire des explosifs (dont la fabrication nécessite beaucoup d’acide nitrique !), il permettra ensuite de produire en masse des engrais azotés de synthèse, qui assureront bientôt une part croissante de la fertilisation des sols agricoles, rendant désuète la polyculture-élevage et ouvrant la voie à l’intensification et à la spécialisation de l’agriculture, désormais adossée à l’industrie chimique lourde.
Pour certains auteurs, le procédé Haber-Bosch constitue le « procédé industriel le plus important » de l’histoire moderne. Plus déterminante encore que l’invention de l’avion, de l’énergie nucléaire ou de la télévision. Dès 1924, le biologiste Alfred Lokta s’émerveillait :
« Le développement extraordinaire [du procédé Haber Bosch] est bien davantage que le départ d’une nouvelle industrie. Il représente rien moins que le début d’une nouvelle ère ethnologique dans l’histoire de l’humanité, une nouvelle époque cosmique. ».
Et c’est bien de cela qu’il s’agit : cette nouvelle ère s’appelle l’Anthropocène, et aujourd’hui à l’échelle du monde, la quantité d’azote réactif introduite annuellement par l’industrie des engrais dans la biosphère, dépasse celle apportée par l’ensemble des processus naturels de fixation biologique. À l’échelle de la planète, la vitesse de circulation de l’azote a donc plus que doublé.
Les pertes environnementales d’azote
Ce qui pose problème dans cette accélération, ce sont les pertes environnementales d’azote qui en résultent. En effet, plus on utilise d’engrais azotés pour augmenter les rendements agricoles, plus l’azote apporté perd en efficacité et plus augmentent les pertes par lessivage et volatilisation (Figure 2). On appelle surplus azoté cet excès d’azote amené aux sols par rapport à la quantité effectivement exportée par la récolte.
C’est ce surplus qui cause la contamination des eaux souterraines au-delà des limites de potabilité, qui contamine les eaux de rivières et conduit à l’eutrophisation des zones marines côtières provoquant marées vertes, efflorescences toxiques et anoxie des fonds. C’est ce surplus, également, qui conduit à des émissions atmosphériques d’ammoniac, responsables de la formation d’aérosols avec de graves effets sur la santé humaine.
C’est la raison pour laquelle dans la démarche de définition des limites planétaires au-delà desquelles la viabilité de l’homme sur terre n’est plus garantie, l’équipe de Rockström a retenu la valeur du surplus azoté agricole. La valeur plafond de ce surplus, définie pour protéger localement l’eau et l’air, varie largement selon les régions du monde, mais leur somme à l’échelle du globe peut-être estimée à 60 millions de tonnes d’azote (60 TgN/an), à comparer à la valeur actuelle de près de 130 TgN/an.
Cet écart colossal entre la limite à ne pas dépasser et la valeur effective actuelle justifie l’objectif récemment affiché par la Commission Européenne et par la Conférence sur la Biodiversité des Nations unies de réduire de moitié les pertes environnementales d’azote à l’horizon 2030.
Réduire de moitié les pertes d’azote de l’agriculture pour respecter les limites planétaires ne pourra pas se faire par de simples ajustements de pratiques. Les fabricants d’engrais industriels font miroiter les progrès que pourraient apporter l’agriculture de précision, l’usage d’inhibiteurs de la nitrification dans les sols, l’amélioration variétale des plantes cultivées, etc.
Tout indique que ces progrès, s’ils ouvrent de nouveaux marchés juteux à l’industrie des agro-fournitures, n’entraîneront qu’une réduction marginale des pertes d’azote : le premier levier pour accroître l’efficience et diminuer les pertes, est la réduction de la production agricole elle-même !

Nourrir le monde sans pourrir la planète
Mais peut-on raisonnablement désintensifier l’agriculture sans compromettre la sécurité alimentaire d’un monde qui atteindra 10 milliards de bouches à nourrir en 2050 ? La réponse est oui selon un grand nombre d’études récentes. Mais à condition d’accompagner cette désintensification par trois changements structurels majeurs du système agro-alimentaire tout entier.
Le premier consiste à généraliser les systèmes de cultures qui ont fait leurs preuves dans l’agriculture biologique, basés sur des rotations longues et diversifiées alternant céréales et légumineuses, ce qui permet de se passer des engrais de synthèse comme des pesticides.
Le second levier consiste à reconnecter l’élevage et les cultures, avec des animaux nourris sur les seules ressources fourragères locales (herbe, légumineuses fourragères, grains seulement quand ceux-ci peuvent être produites en excédent des besoins humains) et dont les excréments peuvent être recyclés sur place, assurant la fermeture maximale du cycle de l’azote.
L’élevage industriel étant ainsi abandonné, la part de produits animaux dans le régime alimentaire humain doit être substantiellement réduite : c’est le troisième levier. Un régime alimentaire où les produits carnés et lactés sont réduits à 30 % du total des apports de protéines (contre 65 % en France actuellement) serait non seulement plus sain, en ce qu’il permettrait de réduire les risques de maladies cardio-vasculaires et de certains cancers, mais serait également plus équitable, en ce qu’il diminuerait la part de la production agricole aujourd’hui consacrée à l’alimentation du bétail, et pourrait être généralisé à tous les humains de la planète. À l’échelle de l’Europe, il a été montré qu’un tel scénario agro-écologique est le seul qui permette effectivement de réduire de moitié les pertes environnementales d’azote et les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture.
Il faut donc dépasser l’idée que seule la poursuite de l’intensification de la production agricole industrielle, de sa spécialisation et de l’accroissement du commerce international des produits agricoles permettra d’assurer les besoins alimentaires croissants de la planète. Bien au contraire, ce modèle agricole est aujourd’hui clairement identifié comme cause de perturbation majeure du fonctionnement planétaire. Nourrir la population mondiale future tout en respectant l’habitabilité du monde ne pourra se faire que grâce à des changements structurels majeurs du système agro-alimentaire mondial alliant sobriété, reconnexion et agro-écologie.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet associant The Conversation France et l’AFP audio. Il a bénéficié de l’appui financier du Centre européen de journalisme, dans le cadre du programme « Solutions Journalism Accelerator » soutenu par la Fondation Bill et Melinda Gates. L’AFP et The Conversation France ont conservé leur indépendance éditoriale à chaque étape du projet.
Gilles Billen, directeur de recherche CNRS émérite et biogéochimiste au laboratoire des Milieux environnementaux, transferts et interactions dans les hydrosystèmes et les sols (METIS).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Introduction
https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2015-2-page-47.htm
1L’humanité est actuellement dans un étrange paradoxe, d’un côté elle est obsédée par la sécurité et l’augmentation de l’espérance de vie et de l’autre, elle détruit son environnement et en particulier le sol nourricier, mettant ainsi en péril sa propre survie. N’étant pas psychologues, les auteurs laissent aux hommes de l’art le soin d’expliquer ce paradoxe. Notre métier nous permet par contre de décrire les origines et les causes de cette destruction du sol agricole.
2S’il est un domaine où la pulsion de mort de l’humanité s’exprime particulièrement violemment c’est bien l’agriculture intensive. On peut se demander pourquoi, après 3000 ans d’équilibre agro-sylvo-pastorale, l’agriculture est-elle devenue une des activités les plus polluantes et les plus destructrices du milieu le plus complexe de la biosphère : Le sol.
3Pourquoi la propagande agro-industrielle a-t-elle réussi à convaincre la majorité des agronomes et des agriculteurs qu’il n’est pas possible de nourrir l’humanité sans engrais et sans pesticides ?
4Pour comprendre cette évolution mortifère de l’agriculture, il faut se tourner vers l’histoire et c’est à la lumière de cette histoire que l’on peut comprendre comment l’humanité a pu se lancer dans ce vaste programme de destruction des sols agricoles que constitue la « révolution verte ».
5Lorsque l’on sait que la destruction des sols entraîne la pollution de l’air et de l’eau et qu’en plus elle provoque un effondrement de la valeur nutritive des aliments ; on comprend pourquoi il est urgent de ramener l’agriculture vers la vie.
Historique de l’agriculture mortifère
6La guerre est sûrement la plus ancienne activité humaine liée à la pulsion de mort. A toutes les époques l’homme a cherché à améliorer les armes pour augmenter leur pouvoir destructeur. Le premier grand bond technologique sera accompli par la découverte de la poudre par les chinois. Celle-ci est à base de salpêtre ; nitrate de potasse synthétisé par les bactéries dans les grottes et les caves. Pendant des siècles, les armées ont eu le monopole de la récolte du salpêtre dans les caves des maisons. Le faible volume de poudre obtenu par ce procédé n’a permis que des guerres artisanales. Il faut attendre le 19ième siècle pour que se développe une industrialisation de la guerre dont le premier industriel fut Napoléon qui leva une armée d’un million d’hommes. Pour cela, il fallut fabriquer de grandes quantités de salpêtre et les scientifiques de l’époque montrèrent qu’en mettant du fumier dans les caves, on augmentait la production de salpêtre. L’empereur fit donc construire de vastes salpêtrières pour alimenter son armée en poudre. Mais la production de salpêtre restait le facteur limitant de l’industrialisation de la guerre. Or Lavoisier avait montré que l’air était composé à 79% d’azote ; les scientifiques du 19ième cherchèrent donc à fixer l’azote atmosphérique afin de disposer d’une source infinie d’azote pour fabriquer du nitrate. La nation qui parviendrait à faire cette synthèse deviendrait la première force militaire du monde. Ce sont deux allemands Haber et Bosch qui réalisèrent la première synthèse industrielle de nitrate en 1903. Dix ans après, l’Allemagne attaquait la France avec une puissance de feu effrayante. Le même Haber synthétisera le gaz moutarde, un organochloré. Il obtiendra le prix Nobel en 1918, mais sa femme se suicidera avec le pistolet de son mari en apprenant le drame d’Ypres. Il poursuivra ses travaux sur les gaz toxiques et mettra au point le Ziklon B utilisé par les Nazis dans les chambres à gaz. Haber était juif et toute sa famille sera gazée par son invention, il se réfugiera en Suisse où il mourra de crise cardiaque (Nicolino et al., 2007). Terrible histoire qui pourrait passionner des psychiatres. Après la première guerre mondiale, il a fallu trouver un usage civil à ces énormes usines qui fabriquait le nitrate en consommant 10 tonnes de pétrole par tonne de nitrate. Comme en 1836, Liebig (Liebig, 1862), avait montré le rôle du nitrate dans la croissance des plantes, le débouché agricole des usines militaires devint évident. De même le gaz moutarde sera transformé en DDT, le premier insecticide agricole. Après la guerre du Vietnam, l’agent orange de Monsanto (mélange de 2,4D et de 2,4,5T) sera recyclé en agriculture comme herbicide, alors que des enfants naissent toujours malformés au Vietnam. On voit ainsi que les deux familles de pesticides les plus toxiques pour l’homme, insecticides et herbicides, sont issus de l’industrie militaire (Nicolino et al.2007).
7Les barbelés, utilisés pendant les guerres mondiales, furent aussi recyclés en agriculture, permettant ainsi l’arrachage des haies, lors des remembrements, et donc l’élimination de l’arbre dans l’équilibre agro-sylvo-pastoral de l’agriculture traditionnelle. Les tanks furent recyclés sous forme de tracteurs dont les premiers étaient à chaines métalliques. L’arrivée de ces engins lourds est à l’origine de la compaction des sols. Ceux-ci sont tellement compacts que depuis 1950 on a multiplié par 6 la puissance des tracteurs pour tirer la même charrue (Bourguignon, 2015).
8Cette petite histoire montre que l’industrie militaire a retourné ses armes contre la nature et a participé à la transformation des paysans, hommes qui faisaient le pays, en exploitants agricoles, hommes qui exploitent et polluent la terre. Faute de chair à canon, l’industrie militaire a déclaré la guerre aux microbes, aux plantes et aux animaux oubliant que nous appartenons au règne vivant.
La mort des sols agricoles
9En violant les lois du sol, l’agriculture, dite intensive, participe à l’extension des déserts au rythme de 10 Millions d’hectares par an.
10La mort des sols suit toujours les mêmes étapes quel que soit le climat : Dégradation biologique puis chimique et enfin physique (l’érosion).
La dégradation biologique des sols agricoles
11Lorsque l’homme met des engrais dans un sol, en particulier l’azote, il accélère la minéralisation de la matière organique par les bactéries, alors que sans engrais ce sont les champignons, fabriquant d’humus qui dominent et qui limitent les bactéries par leurs antibiotiques. L’homme fait de même lorsqu’il irrigue et lorsqu’il laboure les sols (Citeau, 2008). En effet, on irrigue toujours en été, lorsqu’il fait chaud. Or, dans la nature, lorsqu’il fait chaud, il fait sec et de ce fait les bactéries qui ont besoin d’eau, ne peuvent pas minéraliser la matière organique. Mais si on apporte de l’eau sur un sol chaud, on accélère la minéralisation selon une loi chimique qui dit que toute augmentation de 10°C multiplie les vitesses des réactions par 3. Il en est de même avec les labours qui dégagent, par minéralisation, 1 tonne de CO2 /ha. C’est pour ces 3 raisons, engrais, irrigation et labour que le taux de matière organique des sols européens a été divisé par 2 depuis 1950. Lorsque la teneur en matière organique chute, la faune qui s’en nourrit disparaît. La population de vers de terre est ainsi passée de 2 tonnes/hectares à moins de 100Kg/ha en 50 ans. Or la faune aère les sols et remonte son poids de terre tous les jours sous forme d’excréments qui sont très riches en éléments nutritifs. Les éléments n’étant plus remontés par la faune, ils descendent vers les rivières et les nappes phréatiques qu’ils polluent.
La dégradation chimique des sols agricoles
12Les sols perdant leurs éléments nutritifs, on observe alors une acidification par perte des bases comme le calcium, le magnésium et même le fer. Or ces éléments sont fondamentaux car ils possèdent plusieurs charges positives qui leur permettent de créer des ponts d’attaches entre les humus et les argiles qui sont des colloïdes négatifs. Privées d’humus par la perte de la matière organique et privées d’ions positifs par le lessivage de ces éléments, les argiles ne sont plus floculées et vont partir en suspension dans l’eau de ruissellement.
La dégradation physique des sols : L’érosion
13L’érosion est le départ des terres agricoles soit avec l’eau de pluie (érosion hydrique) soit avec le vent (érosion éolienne).
14C’est l’érosion hydrique qui rend les inondations actuelles catastrophiques. En effet la force érosive de l’eau est liée au carré de sa densité. Celle de l’eau étant de 1 et la densité des sols étant supérieure à 1, l’eau pure n’est jamais érosive. Mais lorsque les sols sont arrivés au stade de dégradation physique, les argiles se mettent en suspension dans l’eau et comme leur densité est supérieure à 2, l’eau chargée d’argile va être capable d’entraîner les limons puis les sables puis les cailloux puis des roches ou des automobiles. L’eau, ainsi chargée, va alors être capable de détruire des routes ou des ouvrages d’art.
15On réalise alors que la dégradation des sols a des conséquences sur la pollution de l’air par dégagement de CO2 lors de la minéralisation de la matière organique et sur la pollution de l’eau par le lessivage des éléments nutritifs. Il serait temps que l’on se préoccupe des sols car de leur santé dépend la santé de la biosphère.
Mort des sols et appauvrissement des aliments
16La dégradation biologique des sols agricoles entraîne une perte de la valeur nutritive des aliments. En effet, les engrais se limitent à 3 éléments : N, P, K (azote, phosphore, potassium). Ceux-ci favorisent la turgescence des plantes mais n’assurent pas une alimentation complète. Or les plantes prélèvent 24 atomes dans les sols vivants qu’elles ne peuvent absorber qu’à l’état soluble c’est-à-dire ioniques. Ce sont les microbes du sol qui les rendent solubles dans l’eau en fixant de l’oxygène sur l’atome à solubiliser, soit par la voie de l’oxydation comme c’est le cas de l’azote oxydé en nitrate (NO3-), du soufre oxydé en sulfate (SO4—) et du phosphore (PO4—-), soit par la voie de la chélation comme c’est le cas pour tous les oligoéléments. Dans ce dernier cas les microbes attachent l’oligoélément à un acide organique qu’ils synthétisent (succinate de fer, tartrate de zinc, acétate de manganèse etc.). Les acides étant des fonctions COO-, ils nécessitent comme les oxydes la présence d’oxygène dans le sol. Lorsque la faune disparaît, comme c’est elle qui aère le sol par ses galeries, l’oxygène ne peut plus descendre dans le sol et ces mécanismes microbiens s’arrêtent. Le résultat est un effondrement des teneurs en vitamines et en oligoéléments dans nos aliments (Aubert et al., 2012). Une Golden actuelle contient 100 fois moins de vitamine C qu’une Reinette du Mans de l’entre-deux guerres. Le sélénium qui protège contre les cancers (c’est le cofacteur des peroxydases) a chuté de 36% dans les blés. Le fer a chuté de 70% dans les viandes et de 100% dans certains fromages (Worthington, 2001).
17Seul un sol vivant peut nourrir correctement les hommes. Les sols dégradés ne fournissent qu’une alimentation carencée et ceci est probablement plus grave que la pollution de nos aliments par les pesticides, les colorants et les antibiotiques.
Conclusion
18En laissant l’industrie militaire se reconvertir dans l’agriculture, dite intensive, l’humanité a remplacé l’agriculture par la pétroculture. Actuellement, il faut, en moyenne, 10 calories fossiles pour faire une calorie alimentaire. Dans le cas des cultures hors-sol, il faut 36 calories fossiles pour produire 1 calorie alimentaire. Depuis 7000 ans l’humanité faisait dépendre sa nourriture de l’énergie solaire qui est durable, depuis 50 ans elle l’a fait dépendre d’une énergie fossile non renouvelable. De plus cette alimentation est plus proche de la malbouffe que d’une nourriture saine. Avec Descartes l’homme se croyait maître et possesseur de l’univers, devenu démiurge il pense pouvoir s’émanciper des lois de la nature ; il pense remplacer le soleil par le pétrole et pense même pouvoir se passer du sol. Le résultat de ce délire de toute puissance est la perte de ce qui est à la base de la survie : La sécurité et la qualité alimentaire (De Schutter, 2010). L’Europe et la Chine sont les plus menacées car elles sont les plus grosses importatrices d’aliments. L’Europe qui était autosuffisante avant la révolution verte, importe 40% de son alimentation et il est de surcroît très difficile de garantir la qualité d’un aliment que l’on importe. La France, par exemple qui était autrefois le jardin de l’Europe, importe maintenant 65% de ses fruits et légumes. Nous sommes loin de l’époque où la France s’enorgueillissait d’être le premier producteur mondial de pommes et de poires en quantité et en qualité.
19Glorieuse de sa puissance technologique, l’humanité, pleine de bonnes intentions, s’est créé un bel enfer dont elle mettra du temps à sortir. Mais n’est-ce pas vers l’enfer que nous tire notre pulsion de mort ?
20Il est donc grand temps de quitter cette fascination pour la technique et de revenir à une approche scientifique des lois du sol. C’est par leur observation, leur étude et leur application que l’on pourra créer une agriculture durable. Mais pour cela il faut arrêter les labours et les remplacer par le semis direct sous couvert (Bourguignon, 2015), il faut remplacer les engrais chimiques par des composts, il faut remplacer les pesticides par des purins et des tisanes de plantes, il faut remplacer les élevages industriels par des élevages à l’herbe, il faut remplacer les exploitants agricoles par des paysans. En un mot il faut comprendre que l’industrie convient pour la matière mais pas pour la vie car celle-ci est trop complexe et nécessite des hommes et non des machines. Mis en ligne sur Cairn.info le 18/04/2016 https://doi.org/10.3917/eslm.148.0047

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